Musique et Génériques

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/ Un traitement bien particulier

Dans la famille des génériques, il y a deux genres bien à part :
– le générique d’ouverture (de début), souvent court et intégré à la narration
– le générique de fin, qui présente un contenu plus conséquent, beaucoup plus long, et en général “déconnecté” de l’histoire

 

Si le premier nommé fait l’objet d’un travail généralement soigné, avec le concours de “Title Designers” de renom et l’ambition de créer une œuvre à part entière au sein du projet, le second est couramment écourté, abrégé, raccourci, que ce soit au cinéma, à la Télévision ou sur les services de streaming. Il n’en demeure pas moins rattaché à l’histoire et pourrait mériter un meilleur sort…

Je vous propose ici un court Focus sur quelques exemples de traitements de génériques, ainsi qu’une réflexion plus générale sur son rôle afin d’ouvrir sur la nécessité de ce moment pour le spectateur.

Le Générique de début

Le générique de film est l’art subtil de mélanger image, typographie et musique. C’est une partie méconnue de l’histoire du cinéma, du graphisme et de notre mémoire collective (…)

Saul Bass

Même si l’on peut distinguer la spécificité du traitement entre les séries et les films, il est néanmoins assez fréquent de constater une ambition esthétique et narrative singulière, que l’on retrouve à la fois au niveau de l’image et de la musique.

Les exemples ci-dessous (parmi tant d’autres références) ne manqueront pas d’étayer mes propos.

Du vertige à l'impossible

Commençons par le mémorable générique du film “Vertigo” (Alfred Hitchcock) :

 

Le Graphiste Saul Bass est précurseur dans le domaine des génériques, s’inspirant de l’histoire du film pour créer une ambiance spécifique. Il réussit à insuffler cette sensation de vertige, de chute, de perte de contrôle : l’ensemble visuel est une réussite exceptionnelle.

A cela, il convient d’ajouter tout le génie de Bernard Herrmann dans cette partition trouble, déviante, ambivalente, sensorielle, une proposition très à part des canons de l’époque en musique de film.

Côté séries, nous ne sommes pas en reste avec Mission impossible (Bruce Geller) :

C’est l’histoire d’une “mèche allumée qui parcourt toutes les images des protagonistes en action.” (Laurent Valero)

Outre l’aspect visuel saisissant, on est happé par le 5 temps1 entêtant de Lalo Schiffrin : une écriture à la croisée de la musique latine et du Jazz, un thème qui marque de manière indélébile le téléspectateur.

Et plus récemment...

Même si le Cinéma utilise encore souvent le générique illustré (pour exemples les génériques de Seven ou Catch me if you can), c’est indiscutablement au niveau des séries que les enjeux ont poussé la création vers de véritables œuvres d’art à l’intérieur de l’œuvre audiovisuelle elle-même.

Premier exemple pour illustrer cette volonté artistique : la série The Leftovers (Damon Lindelof & Tom Perrotta) dont le générique a été confié à Garson Yu, Title Designer prolifique de l’Agence yU + co.

 

Pour cette série dramatique, la fresque représentée dans le générique évoque la Renaissance, les thèmes bibliques (jugement dernier, séparation entre les bannis et les choisis, etc.). Le zoom visuel montre des corps happés par un puits de Lumière.

 

La musique de Max Richter illustre à merveille cette tension dramatique par l’utilisation d’un Ostinato harmonique2 et d’une densification progressive de l’orchestration. Comme une impression de vertige, elle évoque l’inexorable et la nécessité pour l’homme d’accepter sa chute.

Autre exemple avec la série The Crown, dont le générique est confié à Patrick Clair, l’un des “Title Designer” les plus recherchés :

Hans Zimmer signe la musique de ce générique, sans pour autant s’occuper de la musique originale de la série qui sera confiée à d’autres Compositeurs (Ruppert Gregson-Williams, Lorne Balfe puis Martin Philipps).

C’est ici un phénomène que l’on rencontre parfois sur certaines séries à l’ambition titanesque : attirer un grand nom de la musique (ou de la musique de film) pour le générique, malgré toute la pertinence que le Compositeur de la série pourrait apporter par son expérience du récit.

On retrouve aussi, dans certains cas, la volonté d’utiliser un morceau existant du commerce – usage très courant dans le domaine de la publicité. L’œuvre musicale n’a pas été conçue pour le projet, mais elle peut avoir une forme de résonance avec l’histoire, le thème, les personnages – exemple avec le Titre “Far From Any Road” interprété par The Handsome Family utilisé dans le générique de la série True Detective.

Même s’il est indéniable que la synchronisation d’un titre du commerce au générique d’une série offre à la musique une grande visibilité, l’usage d’un morceau existant pour illustrer un récit pose question et son impact a notamment été démenti par cette étude – qui fera l’objet d’un article ultérieurement.

Comme nous pouvons le constater à travers ces exemples, le générique de début est un moment stratégique du film, pour lequel un soin particulier est apporté. Il en est tout autre du générique de fin.

Le générique de fin ou l'enfant négligé

C’est le moment durant lequel les lumières s’allument dans les salles de cinéma, invitant les spectateurs à quitter les lieux.

C’est le moment où le public applaudit, dans les festivals, pour féliciter l’ensemble de l’œuvre.

C’est aussi le moment que les Chaînes de Télévision réduisent, interrompant souvent les dernières secondes ou minutes pour laisser place au nouveau programme.

C’est enfin le moment abrégé par les plateformes de streaming (Netflix, Amazon, etc.) afin de renvoyer le spectateur en quelques secondes vers un nouveau “contenu” – l’épisode suivant, la suggestion de film suivante. En une poignée de secondes, l’écran se réduit et glisse sur le côté pour laisser place nette au programme suivant arborant fièrement une nouvelle intrigue, de nouvelles couleurs, une nouvelle musique, etc.

Étape ultime d’un film, le générique est bien considéré à part pour le spectateur et les diffuseurs.
Et pourtant…

La fin justifie les moyens

Un espace d'informations nécessaire

On ne reviendra pas sur l’utilité évidente du générique de fin : rendre hommage à tous les intervenants qui ont œuvré ou apporté leur contribution au projet artistique. Il y a cette dimension informative qui conclut le récit.

Un prolongement de l'expérience sensorielle du film

Au-delà de cette fonction première, il peut être perçu comme un prolongement de l’histoire : il peut être sa conclusion, son ouverture vers une nouveau récit, sa suspension, etc.

La musique en est le vecteur idéal : elle permet de prolonger l’expérience sensorielle du film, elle maintient le spectateur dans l’attention de l’histoire. Elle apporte des éléments de réflexion, de compréhension, voire d’approfondissement.
Ce moment du générique est propice à un développement de la musique : elle peut prendre une place différente et raconter l’invisible. C’est un véritable rôle sur-mesure qui apporte à l’expérience audiovisuelle.

Un exemple parmi tant d’autres, que je prendrai dans mon répertoire : il s’agit de la musique du film Ogre réalisé par Jean-Charles Paugam. Je vous laisse ci-dessous les 4 dernières minutes du film, générique de fin compris.

ogre youtube

On peut, par l’intermédiaire de cet exemple, comprendre l’intérêt d’aller au bout du générique : alors que la musique de fin dévoile la véritable identité du personnage (entre 10’46 et 12’10), l’histoire d’un homme qui devient Ogre, la musique du générique reprend le thème principal et l’amène encore plus loin, dans l’affirmation de cette nouvelle identité, macabre, implacable et exubérante !

Alors que les différents intervenants qui ont œuvré sur le projet défilent sur fond noir, la musique nous maintient dans l’Univers du film et l’expérience sensorielle se poursuit.

Comme l’indique si justement le Compositeur Daniel Pemberton,

C’est également un cheminement progressif de la musique qui aboutit souvent au générique, un travail mûrement préparé dont l’aboutissement sensoriel est présenté à cet endroit. La privation presque automatique de cet espace souvent pensé par le Réalisateur et le Compositeur a un impact sur l’expérience du film.

Daniel Pemberton

Il y a effectivement une trame dans la narration musicale qui trouve souvent son apogée au cours du générique de fin. Parce que le temps est plus long, parce qu’elle est moins contrainte par une temporalité précise, un développement de la musique est possible. C’est un aboutissement sensoriel pour le spectateur.

Un moment de contemplation essentiel

Ce moment bien particulier, Daniel Pemberton le définit comme “un moment de contemplation essentiel” dans un article du Guardian repris par le Courrier international.

Face à une consommation effrénée du contenu audiovisuel que propose les services de Streaming, la meilleure réponse est effectivement d’avoir un SAS, un moment d’intégration, voire de digestion. Daniel Pemberton se permet même d’utiliser la métaphore gastronomique :

À peine avez-vous fini d’avaler la dernière bouchée qu’un serveur accourt, débarrasse bruyamment la table et vous refourgue le menu sous le nez, insistant pour que vous commandiez immédiatement la formule du jour.

Daniel Pemberton

Le cas des services de Streaming

Là où autrefois les œuvres d’art pouvaient résonner en nous des années après leur visionnage, on zappe très vite d’un programme à l’autre, on ingurgite des “contenus” qui nous sont servis avec une extrême abondance.

Ce qui me pose problème, c’est d’être privé par défaut de cette séquence qui est partie intégrante de l’œuvre cinématographique.

Daniel Pemberton

En effet, aujourd’hui la configuration par défaut des services de Streaming est d’abréger le générique au bout de quelques secondes. La solution serait de permettre à chacun de paramétrer son désir de voir – ou ne pas voir – le générique dans son intégralité, de vivre – ou de ne pas vivre – l’expérience du film dans sa globalité.

Vers une nouvelle expérience du générique de fin ?

Si le générique de fin est difficilement accessible, il existe néanmoins des initiatives prometteuses qui sont favorables à cette expérience :
– Les génériques illustrés et/ou l’insertion de scènes post-génériques comme c’est souvent le cas dans les productions Marvel.
– Le fait de démarrer le générique dans la continuité narrative, à l’image de ce que l’on retrouve dans Midnight on the Universe de Georges Clooney ou Pieces of a woman de Kornél Mundruczó. Le spectateur est ainsi maintenu dans l’attention des images, tout en profitant des informations du générique. C’est un moment où les éléments de l’intrigue disparaissent pour laisser place à une sorte d’immersion en “live” avec les personnages, sans ellipse.

On peut se réjouir de ces nouvelles expérimentations qui permettent de remettre au premier plan cette séquence sensorielle et informative indispensable au film.

 

“Sinon, ce puissant moment d’émotions, de contemplation et de réflexion pourrait bientôt être oublié de tous du fait d’une cabale de Sociétés dont le seul intérêt est de maximiser le temps de vos globes oculaires et non de votre cœur.” Daniel Pemberton

 

Alors, on regarde la fin du film ?

1 Mesure à 5 temps : correspond à une mesure à 5 unités de durées. Cette mesure plutôt utilisée dans la musique folklorique d’Europe de l’Est est moins répandue dans la musique Pop qui utilise en grande majorité des mesures à 4 et 3 temps.

2 Ostinato : procédé de composition musicale consistant à répéter obstinément une formule rythmique, mélodique ou harmonique accompagnant de manière immuable les différents éléments thématiques durant tout un morceau.