Réalisation : Christian Carion / Musique originale : Ennio Morricone
La force du Leitmotiv pour tracer une ligne qui nourrit l’histoire
Les bandes originales d’Ennio Morricone ont bercé mon enfance et il m’a toujours semblé difficile de résumer les œuvres de cet immense Compositeur tant elles sont nombreuses et protéiformes d’un film à l’autre.
Touché par l’artiste autant que par l’homme, j’ai suivi avec beaucoup d’émotion les liens qui ont été partagés suite à son décès le 6 Juillet dernier et ai découvert un making of (réalisé par David Dessites) de la session d’enregistrement du film “En mai fais ce qu’il te plait” de Christian Carion.
Les mots d’Ennio sur la musique m’ont donné envie de redécouvrir le film :
Je ne voulais plus faire un film de guerre, mais celui-ci, j’ai compris que c’était autre chose, c’est un film sur des gens en quête de paix et de tranquillité. Alors que la France est envahie, on découvre les aventures de ce convoi, en plein exode vers la liberté.
Au travers de ces mots bien choisis, je comprends que le Maestro donnait déjà tous les éléments de compréhension de la bande originale. La musique suit une ligne narrative indépendante du film, et elle fait corps avec. Il est également important de noter le soin apporté par le Réalisateur à mettre en scène son histoire avec la musique (cf. Interview pour le magazine Underscores) afin d’en faire un véritable Troisième personnage.
La musique dans les films de Christian Carion
La Musique a souvent une place particulière dans les œuvres de Christian Carion, qui a collaboré avec plusieurs compositeurs et exploré autant d’univers musicaux. Même s’il emprunte des chemins différents sur “L’affaire Farewell” ou “Mon garçon”, on peut ressentir dans ses autres films une volonté de servir l’histoire avec le lyrisme des thèmes (Philppe Rombi pour “Une hirondelle a fait le printemps” et “Joyeux Noël” ou Ennio Morricone dans ce film), évitant en général de soutenir la tension (ou la guerre) par la musique. Parfois utilisées avec économie, les plages musicales sont néanmoins rarement en arrière-plan dans le mix : pensées pour être clairement perceptibles, elles ne sont pas reléguées à un rôle de “papier peint”.
Extraits et analyse du rôle de la musique
Deux scènes pour illustrer le principe de Leitmotiv
Le film En mai fais ce qu’il te plaît utilise essentiellement un Leitmotiv (thème musical récurrent associé à un élément dramaturgique fort de l’histoire). Nous le découvrons dans sa première exposition au cours du premier extrait annonçant le départ de l’exil des villageois, vingt minutes environ après le début du film. Cette mélodie à intervalles courts qui progresse dans un mouvement doucement ascendant pour ouvrir sur des intervalles plus larges tout en revenant à son point d’origine évoque la migration à venir et la volonté fraternelle des habitants du village. La discontinuité musicale assurée par les longs silences entre chaque courte phrase mélodique amplifie encore ce ressenti, nous renvoyant à l’idée des grands espaces (Christian Carion souhaitait d’ailleurs convoquer le Western pour ce film). Le thème suivra la progression de l’exode tout au long du récit.
On le retrouve également dans le deuxième extrait, qui correspond chronologiquement au dernier tiers de l’histoire environ. Hans est à la recherche de son fils Max et appréhende de le découvrir mort enterré. La scène se termine sur une note d’espoir : Max semble encore vivant.
Le thème amène une forme de gravité en rapport avec la découverte des tombes par Hans. Progressant sur de courts intervalles, la mélodie poursuit son ascension plus clairement à mesure de la découverte de l’enfant défunt. Le climax musical correspond à la révélation du corps. Les silences entre chaque mouvement mélodique génèrent une tension, ils créent une attente vers une résolution musicale. Ainsi, ces respirations laissent une place importante à l’émotion du personnage et du spectateur. Parce qu’elle trace sa propre ligne narrative sans soutenir la dureté des images, la musique nous permet ici une grande liberté d’interprétation. Le thème se poursuit avec l’arrivée de Percy (compère écossais de route de Hans) sur un motif mélodique ample et très consonant accompagné d’un mouvement ascendant dans les graves pour aboutir à une grande ouverture : cette lueur d’espoir va permettre à Hans de se relancer à la recherche de son fils.
La Guerre dans le Récit
Ces extraits illustrent parfaitement l’idée générale de la musique tout au long de l’histoire, dans des situations dramatiques très différentes. Nous ne sommes pas ici dans un “film de Guerre” même si c’est un film sur la Guerre. Les scènes de combat ne sont pas illustrés par la musique, celle-ci conserve donc une ligne narrative bien spécifique, évoquant ce désir de liberté, à la fois pour les Villageois mais aussi pour Hans et Max, qui ont fui l’Allemagne en quête de paix et de tranquillité.
On peut constater la force d’un Leitmotiv bien pensé à habiller avec habilité des situations parfois contradictoires, tissant une ligne indépendante tout en soutenant l’action, sans “accompagner le spectateur par la main” mais, au contraire, en lui apportant des éléments de ressenti et de réflexion complémentaires.
Et pour la petite histoire...
Ah, j’ai oublié de vous dire : j’ai écrit un second thème, totalement en dehors de nos accords. Vous le découvrirez en studio !
C’est ainsi qu’Ennio Morricone concluait le coup de fil échangé avec Christian Carion lors des vœux de la nouvelle année 2015 (cf. Interview pour le magazine Underscores). Pierluigi Pietroniro, Violoniste de l’orchestre qui a interprété la bande originale et fidèle collaborateur du Compositeur depuis 1983, m’a confié cette situation bien spécifique au sujet de la session d’enregistrement :
“Le Réalisateur n’avait pas connaissance de tous les morceaux avant l’enregistrement” – Fait assez rare en musique de film mais assez courant chez le Maestro, qui avait pour habitude de travailler en amont du tournage et d’enregistrer souvent bien avant la fin de la post-production.
“Nous avons commencé la lecture d’un morceau que Christian Carion allait découvrir en direct un peu plus tard : Ennio souhaitait que l’exécution soit parfaite au moment de la présence du Réalisateur. Lors de son arrivée, nous avons joué cette musique pour l’enregistrement. Très touché par cette dernière, Christian Carion se dirigea vers Morricone pour le remercier chaleureusement de cette surprise. Il était particulièrement bouleversé et une émotion intense a empli la salle. Un moment rare que je n’avais jamais vécu en 30 ans de carrière de session-man.”
Le morceau en question, bien que non prévu initialement, a été intégré dans le film. La prise de risque est l’une des clés d’un grand travail d’auteur. Un Compositeur qui a la confiance et la liberté de s’aventurer en dehors d’un cahier des charges peut apporter parfois (mais pas toujours) de très bonnes surprises.
/ Synopsis
Mai 1940. Emmenés par leur maire, Paul, les habitants d’un petit village du nord de la France, partent sur les routes pour fuir l’envahisseur nazi . Ils emmènent avec eux un enfant allemand, Max, dont le père, Hans, opposant au régime nazi est emprisonné à Arras pour avoir menti sur sa nationalité. Libéré dans le chaos, celui-ci se lance à la recherche de son fils…
/ Informations
Réalisation : Christian Carion
Musique : Ennio Morricone
Musique nominée aux Césars et aux World Soundtrack Awards 2016.
Pour écrire le scénario, Christian Carion s’est en partie inspiré de l’histoire de sa mère. Originaire de la ville de Cambrai, dans le Nord, celle-ci a pris la route de l’exode en mai 1940, comme 8 millions de Français qui ont fui l’armée allemande.
Ressources complémentaires :